Radio-Cartable… des origines à maintenant

Origines


Au début des années 1980, on bâtit à Ivry une nouvelle école, l’école Einstein. L’architecte a souhaité associer à la construction les enseignants, le personnel municipal mais aussi les élèves et leurs parents. L’un d’entre eux propose alors de créer une radio en milieu scolaire.

micro-trottoir devant l’école Maurice Thorez A

Cette idée originale retient l’attention de l’IEN, sous réserve qu’elle puisse concerner l’ensemble de la circonscription. Une réflexion s’engage sur les apports, l’intérêt pédagogique que peut représenter un tel outil. À Ivry, où la très grande majorité des écoles sont aujourd’hui situées en réseau d’éducation prioritaire, la radio va vite s’imposer comme un support privilégié pour apprendre : améliorer la maîtrise de la langue écrite et orale, ouvrir l’école sur l’environnement, donner du sens aux activités scolaires, acquérir des méthodes de travail, devenir un utilisateur éclairé des média, valoriser l’image et l’estime de soi.

premier logo Radio-Cartable


Un concours est lancé dans les classes pour donner un nom à la radio. Le logo est réalisé par un graphiste d’après les propositions des enfants.

Le 6 février 1984 est diffusée la première émission de « Radio-Cartable, la radio des enfants des écoles d’Ivry », aventure qui, depuis, se répète tous les jeudis de 14h à 15h.

Des moyens matériels et humains


Le CLEMI est, dans les premières années, étroitement associé au projet. Il apporte son expertise dans l’installation et la formation technique des enseignants, et participe aussi à la réflexion et à l’organisation de stages. Les liens se distendent un peu par la suite, en partie du fait du renouvellement des équipes.

Au tout début, les maîtres doivent enregistrer les séquences dans leur classe et deux ou trois enseignants se portent volontaires pour monter manuellement l’émission le mercredi: une heure de montage est nécessaire pour une minute d’émission ! Certaines classes venaient au studio assister à un cours moment de montage. Cela permettait déjà d’amorcer un travail sur la déontologie, en montrant aux enfants comme il était facile de déformer les propos d’une personne par le découpage des bandes !

Le projet bénéficie surtout de l’appui d’un ancien directeur d’école qui, profitant de sa retraite, se charge de lancer l’émission, chaque jeudi après-midi, du studio de radio, installé dans le groupe scolaire Maurice Thorez. Ce studio a été doté d’un équipement performant qui permettait d’émettre depuis Ivry mais surtout de réaliser l’émission en direct, grâce au reportophone, appareil relié à une prise téléphonique. Les auditeurs, les classes notamment, pouvaient ainsi appeler pendant l’émission, ce qu’ils ne manquaient pas de faire pendant le programme phare : le « personnage mystérieux ». Le direct présentait également un intérêt, pour les élèves, en ce que, générant du stress, il les obligeait à se préparer. Certains enfants appelaient d’autres camarades la veille de l’enregistrement pour s’entraîner par téléphone !

L’équipe a souhaité dès le départ diffuser l’émission sur la bande FM, et non à l’interne, comme le sont la plupart des radios scolaires. On a donc cherché la collaboration d’une radio libre et associative.

De 1984 à 1988, c’est une radio locale, Radio Soleil, qui a accueilli l’émission ; Radio Libertaire lui a succédé sur 89.4. Cette radio héberge différentes associations qui s’engagent à respecter le créneau horaire qui leur a été attribué pour toute l’année et à se rendre au studio à Paris pour lancer chaque émission. De son côté, Radio Libertaire apporte à l’équipe de Radio-Cartable l’assurance de ne diffuser dans les abords de l’émission aucun programme ou message, notamment à caractère politique, pouvant choquer les familles..
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Petit à petit, cette radio a changé son équipement technique et le reportophone n’a plus été utilisable. A Radio-Cartable, comme ailleurs, on a alors fait du faux direct : un seul enregistrement, qui est ensuite monté, puis diffusé du studio de la radio d’accueil.

Le lancement de l’émission est assuré, à Paris, par l’enseignant-ressource « Radio-Cartable ». En effet, depuis quelques années, un enseignant ZIL est déchargé par l’IEN pour assurer cette fonction ; il s’agit depuis septembre 2010 de M. Frédéric Garbe. Son rôle ne se cantonne pas à cet aspect technique, c’est avant tout un rôle pédagogique. Il propose des programmes, des types de séquences, et accompagne les enseignants dans la réflexion et la réalisation de projets. Il prend en charge des petits groupes d’élèves pour les aider à mettre en forme, pratiquer et enregistrer des interviews, des micro-trottoirs, des reportages…. Il se charge aussi du montage, allégé maintenant avec les technologies nouvelles : l’ordinateur a remplacé les bandes magnétiques !

Les émissions : produire…

Pour chaque émission, on construit un conducteur qui permet de définir l’ordre de passage. Une classe de Cours moyen, par équipe de cinq à six élèves, est chargée d’animer l’ensemble, ce qui implique que l’équipe connaisse le contenu des programmes, écoute des extraits des séquences et prépare ses interventions avec l’aide de l’enseignant-ressource.

Un jingle lance le début et la fin de l’émission, chaque programme est précédé et suivi d’un générique.
Des morceaux de musique viennent ponctuer l’émission, choisis quand cela est possible par les classes, sans quoi l’enseignant-ressource s’en charge. Les droits de diffusion sont acquittés à la SACEM par Radio Libertaire.

L’élaboration d’une séquence radio représente un véritable travail scolaire mobilisant recherche d’informations, écriture de textes très variés (conte, article…), lecture : les situations d’apprentissages sont multiples.
Les premières années, les programmes étaient très scolaires et très ambitieux, riches pour les classes mais sans doute pas assez attractifs. Ils se sont diversifiés avec le temps et certains sont devenus des institutions. Ainsi le personnage mystérieux, qui devient occasionnellement pays, objet ou animal, est proposé quasiment depuis l’origine de la radio. Ce n’est pas un exercice facile pour la classe qui en a la charge : d’abord, il faut déterminer un personnage, puis trouver les indices qu’on donnera à l’antenne. Mais il a toujours remporté un franc succès, surtout quand il est diffusé en direct.

Un autre programme récurrent est celui des actualités, confié à des élèves de cycle 3. Il exige une grande rigueur : les élèves doivent apprendre à communiquer les informations de la manière la plus objective possible. Les séquences « Radio-Trouille », composées d’histoires qui font peur, enregistrées par des CE1 avec des bruitages, et « Histoires à compter », qui propose sous forme de récit des jeux mathématiques, sont également très écoutées.
Enfin, les duplex avec les classes transplantées mobilisent les familles. Quel plaisir d’avoir des nouvelles de son enfant en écoutant la radio !


La fréquence des programmes varie : certains font l’objet d’une diffusion régulière, de l’ordre d’une fois par mois, d’autres, tels les reportages, sont plus ponctuels. L’accord des familles est nécessaire pour diffuser la voix des enfants mais l’équipe n’a pratiquement pas essuyé de refus en vingt-huit ans d’existence.

Le renouvellement du matériel a permis d’équiper Radio-Cartable de moyens techniques modernes et mobiles (telles les tablettes tactiles) et ainsi de constituer un studio mobile, ouvrant d’autres possibilités d’activités pédagogiques d’enregistrement et de montage par les élèves eux-mêmes. C’est aussi en pratiquant ce type d’activité que l’on devient un auditeur éclairé ! De même, l’aménagement du studio fixe a permis de reprendre des émissions en « direct », avec toutes les spécificités et les contraintes éminemment formatives que cela inclut, et aussi toutes les joies et la fierté que les élèves en retirent.

…et écouter

Outre des stages de circonscription sur la maîtrise de la langue et l’écriture radiophonique, les enseignants ont pu bénéficier d’une formation à l’écoute. La question centrale était de déterminer ce qu’on attend des élèves quand on leur fait écouter des programmes de Radio-Cartable. Certaines séquences au contenu moins attractif, les reportages par exemple, voyaient particulièrement faiblir la concentration. Pour pallier ce problème, on a entrepris de construire des grilles d’écoute avec des QCM.

Les programmes et leur grille sont envoyés chaque semaine aux écoles.
Les moyens techniques modernes, dont le podcast accessible depuis le site de la radio, ont permis d’assouplir et de multiplier les usages : les maîtres peuvent sélectionner des extraits des séquences, choisir le moment de la diffusion… Comme le montre les statistiques de fréquentation, le site enregistre de nombreuses visites, notamment de pays étrangers (Afrique, Canada).

Le financement

Une association, ARADELE (les Amis de la RAdio des ELEves), a été fondée pour constituer un support financier. Elle comprend pour l’essentiel des enseignants mais aussi quelques parents d’élèves.

Elle touche des subventions de la mairie, en tant qu’association ivryenne mais surtout au titre des projets pédagogiques, de l’éducation nationale (quand les projets étaient aidés financièrement) mais aussi quelques recettes de la vente de tee-shirts…

Ces ressources permettent à ARADELE d’acheter les micros, les CD, les cartes et les magnétophones numériques pour l’enregistrement.
L’équipement de départ du studio, très onéreux, a été financé par la mairie. La mairie prend également en charge le téléphone.

Bilan

Logo actuel de Radio-Cartable

En 2011-2012, une quarantaine de classes ont  produit 35 émissions, soit 176 séquences inédites. Notre radio est écoutée aux quatre coins du monde, comme le montrent les podcasts.

Elle constitue notamment un excellent outil dans l’apprentissage du Français Langue seconde. Les apports pour les élèves nous semblent importants, même s’ils ne sont pas toujours très clairement évaluables et que d’autres pratiques pédagogiques peuvent jouer le même rôle. Tous les enfants y ayant participé en gardent un très bon souvenir, comme en témoignent les collégiens qui souhaiteraient encore y collaborer. Pour les enseignants et les différents inspecteurs de l’Education nationale qui ont dirigé la circonscription, le véritable levier réside dans le fait que les émissions sont diffusées sur les ondes, pour de vrais auditeurs, et non simplement à l’interne, pour soi :  » Les élèves comprennent et acceptent de «  faire des gammes » , de s’entraîner pour être à la hauteur de leur public !

Radio-Cartable jouit depuis longtemps de la reconnaissance des institutions, et, tout d’abord, de celle de l’Éducation nationale. Le site de Radio-Cartable fait l’objet d’un lien sur le site de l’Académie.

L’équipe de Radio-Cartable a été invitée à participer à un colloque de l’Unesco sur les « Cultures et subcultures orales dans les pays de la francophonie » en décembre 1990, pour une contribution intitulée  » De l’oral à l’écrit dans une ZEP : Radio-cartable à Ivry-sur-Seine « . Enfin, une recherche-action a été menée avec l’Université de Paris-Nord ; ses conclusions révèlent le rôle de la radio dans l’ouverture des enfants sur le monde et dans l’estime de soi.


Quelques réserves peuvent être exprimées. Certains maîtres refusent, pour différentes raisons (trop souvent, cette activité est considérée comme un supplément d’âme et non comme une activité pédagogique à part entière, permettant de travailler des notions du programme), de participer au projet. Autre point noir, l’écoute par les autres classes des productions qui ne sont pas les leurs ! Avec toujours, pour les enseignants, l’impression de prendre trop de temps pour cette activité tout en reconnaissant ses apports pédagogique ! Difficulté qu’un projet de circonscription (Abduléi, mon ami) avait su contourner.

Une production d’envergure : « Abduléi, mon ami »

Des projets de circonscription ont rassemblé, dès le début, les enseignants autour de thèmes porteurs : le bicentenaire de la Révolution, les Marianne, l’eau… En 1995, dix-huit classes ont collaboré au feuilleton « Abduléi, mon ami, » proposé par les médecins scolaires, en réponse à un appel à projet du CRÉSIF (Comité d’éducation à la santé d’Île-de-France). Pour les médecins, il constituait un bon support pour aborder des thèmes comme le contrôle de soi, la résolution de conflits et plus généralement l’éducation à la santé. Le projet a pour l’essentiel concerné des classes de cycle 3, mais aussi une classe de perfectionnement et une de Segpa. Chacune a enregistré un épisode d’environ vingt minutes.

Un maître, très impliqué dans la radio, a réalisé avec ses élèves le premier épisode, mettant en scène un certain Abduléi. Suivant la consigne, un problème devait se poser au héros. Quatre classes devaient proposer une suite possible pour l’épisode suivant ; après diffusion de ces quatre propositions, les classes en charge du troisième épisode choisissaient celle qui leur convenait pour en écrire la suite. Ainsi, Abduléi a vécu selon les classes des aventures très différentes.

Des animations pédagogiques ont répondu aux besoins des enseignants sur les problématiques de l’écriture en groupe ou de l’oral radiophonique.
Les interventions des médecins scolaires dans les classes ont permis aux enfants de s’informer et d’apprendre où s’adresser en cas de problème, ce que sont le secret professionnel et l’assistance à personne en danger. Ils ont abordé ensemble la question du bonheur et du choix. Les enfants ont ainsi pris conscience qu’il existait des solutions quel que soit le problème et qu’il fallait toujours envisager les conséquences de ces choix. Quelques uns sont ensuite allés voir individuellement le médecin, utilisant différents prétextes pour demander, par exemple, « comment on fait les bébés ».
Ils se sont très vite identifiés au héros ; ils ont mené des recherches documentaires pour rendre l’histoire vraisemblable.
L’investissement de chacun a été continu et l’enthousiasme n’a pas fléchi. Le sujet étant porteur, tous les enfants ont écrit. Ils ont travaillé également le jeu dramatique et la distribution des rôles : des maîtres ont parfois été inclus au casting pour jouer les rôles d’adultes. Le projet contraignait les classes à écouter deux épisodes chaque jeudi mais les élèves se sont montrés impatients à connaître la suite tout au long de l’aventure, comme en ont témoigné les « fuites » du mercredi après-midi au centre de loisirs. Des écoliers révélaient le contenu de l’épisode du lendemain à leurs camarades !

Le CRÉSIF a versé une subvention de 90 000 francs, qui a permis d’éditer le livre l’année suivante sur le modèle des livres interactifs « dont vous êtes le héros ». Un exemplaire a été remis à tous les élèves et enseignants ayant participé au projet. Cette publication a demandé aux enseignants un travail de réécriture, sur certaines tournures de phrases incorrectes notamment, et d’explicitation, mais les élèves en ont été informés. Ils avaient, pendant les enregistrements, conçu des illustrations, elles avaient donné lieu à une exposition et à un vote des visiteurs. Le dessin plébiscité est venu illustrer la première de couverture, les autres ont été intégrés au corps du texte.

Le cahier des charges du CRÉSIF prévoyant une évaluation, celle-ci a été conduite par une sociologue qui a mis en évidence l’influence du projet dans l’attitude des enfants, en terme d’ouverture sur le monde et la vie, de résolution de problèmes. Elle a aussi insisté sur le caractère fédérateur du projet pour l’équipe enseignante, chacun amenant sa pierre à l’ensemble.

 Marie-Claude Boyer